COVID-19

L’industrie aéronautique s’estime plus touchée qu’ailleurs

Coincée entre ses engagements militaires, d’autres activités essentielles au maintien de certains vols pendant la crise et ce qui est vraiment superflu, l’industrie aéronautique québécoise tentait tant bien que mal, mardi, de répondre aux exigences de fermeture du gouvernement québécois, la seule juridiction qui la force à agir ainsi.

« Ce qui est difficile pour nous, c’est que d’autres juridictions ont des définitions plus larges, disons ça comme ça, alors ça vient nous pénaliser », s’inquiétait hier la PDG d’Aéro Montréal, Suzanne Benoit, en énumérant notamment l’Ontario, l’Ohio, le Michigan et la Californie.

« La concurrence, c’est la concurrence. Le danger est que s’ils délocalisent maintenant, à moyen terme, peut-être que c’est de la production qu’on va perdre. »

Tout en marchant sur des œufs, le président de Héroux-Devtek, Martin Brassard, abondait dans son sens. Son entreprise est notamment présente en Ontario, dans différents États américains et en Espagne.

« Dans toutes nos autres juridictions, l’aviation commerciale est approuvée. La seule où elle ne l’est pas, c’est le Québec. »

Le militaire continue

« On a au moins une demi-bonne nouvelle, le secteur de la défense est épargné », affirmait par ailleurs Mme Benoit.

La demande de fermeture du gouvernement québécois exclut les activités militaires. Le Canada et les États-Unis sont liés par le Defense Production Sharing Agreement, qui rend les usines canadiennes admissibles aux contrats militaires américains, mais impose en revanche certaines conditions de fiabilité.

Environ 150 entreprises liées à ce secteur pourront donc continuer d’opérer au Québec, au moins en partie, estime Mme Benoit.

Départager les activités commerciales et militaires n’est toutefois pas simple pour plusieurs d’entre elles.

« L’enjeu, c’est que certains petits fournisseurs parfois ne savent même pas si leurs pièces vont dans des avions civils ou militaires, il y a des doubles usages », explique-t-elle.

Certains grands donneurs d’ordres étaient en discussions avec le gouvernement, mardi, pour tenter de le convaincre de les laisser maintenir certaines activités. C’était le cas entre autres chez Pratt & Whitney Canada et chez le fabricant d’hélicoptères Bell.

« Bell est présentement en discussion avec le gouvernement du Québec afin de confirmer son statut d’entreprise essentielle ayant des activités manufacturières prioritaires afin de répondre à nos engagements envers le Ministère de la Défense nationale du Canada, la Garde côtière canadienne, les forces de l’ordre, nos alliés internationaux, les premiers répondants ainsi que les services médicaux aériens étant sur la première ligne de la pandémie mondiale de la COVID-19 », a indiqué en fin d’après-midi une porte-parole de l’entreprise, par courriel.

« Pratt & Whitney a obtenu en après-midi le feu vert pour garder actives ses opérations liées notamment à des moteurs servant pour l’agriculture ou le sauvetage. »

De son côté, Bombardier a été très rapide, mardi matin, pour confirmer l’arrêt de toute sa production aéronautique et ferroviaire au pays. Environ 12 400 de ses 17 600 employés au Canada seront au chômage. Les quelque 30 % d’employés restants peuvent travailler à distance, œuvrent au service à la clientèle pour des avions qui continueront d’opérer ou encore doivent terminer des livraisons jugées « cruciales ».

Le fabricant de simulateurs CAE avait pour sa part déjà annoncé vendredi la mise à pied d’environ 465 employés affectés à la fabrication de simulateurs.

Airbus et Stelia : aménagement à la convention

À Mirabel, les employés d’Airbus (A220) et de sa filiale Stelia ont vu leur syndicat, celui des Machinistes, s’entendre avec l’employeur sur une formule qui devrait leur permettre de conserver leur salaire normal pour les trois prochaines semaines, plutôt que de faire appel à l’assurance-emploi.

Leurs conventions collectives prévoient un système de banque d’heures dont le solde peut être négatif, jusqu’à un maximum de 20 heures en temps normal, a expliqué hier le coordonnateur québécois des Machinistes, David Chartrand.

Cette clause a été modifiée pour repousser la limite à 120 heures, ou l’équivalent de trois semaines. Les employés pourront donc utiliser une combinaison de leurs vacances restantes, de celles de l’été suivant et de cette banque, qu’ils devront renflouer à leur retour, pour passer au travers des trois semaines. Une fermeture plus longue entraînerait toutefois des mises à pied, a prévenu M. Chartrand.

La même entente a été offerte à Bombardier, dont la convention avec les machinistes prévoit aussi une banque d’heures, mais elle a été rejetée.

Médias

Les journaux régionaux vivront jusqu’à l’été… si les crédits d’impôt arrivent rapidement

La coopérative de quotidiens régionaux CN2I, qui regroupe notamment Le Soleil et qui a mis à pied lundi 40 % de ses employés, peut durer financièrement jusqu’à l’été prochain. À condition toutefois de toucher dans les prochaines semaines l’argent des crédits d’impôt d’Ottawa et de Québec.

« On fera les comptes [exacts avec les gouvernements] plus tard, ça nous prend cet argent-là », dit Stéphane Lavallée, directeur général de CN2I.

CN2I, la coopérative qui regroupe six quotidiens régionaux dont Le Soleil à Québec, a annoncé tard lundi la mise à pied de 143 employés administratifs (administration, vente, distribution) en raison de la crise économique déclenchée par le coronavirus. Les revenus publicitaires ont chuté de pas moins de 80 %.

Aucun des 175 journalistes de la coopérative n’a été mis à pied. La coopérative ne croit pas être en mesure de réembaucher après la crise tous les employés. « C’est sûr que ce ne serait pas honnête de laisser croire qu’on va revenir à une organisation [de la taille] d’avant [la crise] », dit Stéphane Lavallée.

Pour les prochaines semaines, les six quotidiens régionaux ne publieront pas d’édition papier en semaine. Il y aura des éditions numériques tous les jours et une édition papier le samedi. Les quotidiens n’ont pas décidé si c’était la fin définitive de leurs éditions papier en semaine.

Après les mises à pied, environ 200 employés travaillent chez CN2I, dont 175 journalistes et cadres qui se consacrent au contenu.

« On veut préserver notre mission première qui est de faire de l’information de proximité, de l’information locale, mais ouverte sur le monde. »

— Stéphane Lavallée, directeur général de CN2I

La moitié des revenus de l’entreprise provient des abonnements payants, l’autre moitié de la publicité, en chute libre avec la crise. « Avec les décisions responsables prises par nos coopératives, il n’y a pas d’enjeu [financier] d’ici l’été, dit Stéphane Lavallée. On s’est donné les outils pour affronter une crise qui va être longue. »

CN2I a trois demandes pour les gouvernements Legault et Trudeau. Premièrement, investir davantage en publicité dans les médias d’information québécois plutôt que sur Facebook ou Google. Deuxièmement, créer un programme d’aide temporaire visant à atténuer la chute des revenus publicitaires. Et troisièmement, verser tout de suite les crédits d’impôt sur les salaires des journalistes pour l’année 2019. À Québec, il doit être versé en août prochain. À Ottawa, ça risque d’être beaucoup plus long : le fédéral n’a pas encore déterminé quels médias y seraient admissibles.

La Coopérative nationale de l’information indépendante (CN2I) calcule pouvoir affronter la crise jusqu’à l’été, mais en comptant les crédits d’impôt dus aux coopératives pour l’année 2019. « Si nos revenus publicitaires remontent à un niveau acceptable, ça peut aller un peu plus loin. Si ça reste comme ça, ça nous prend [l’argent des crédits d’impôt] », dit Stéphane Lavallée.

En début d’année, la coopérative avait prévu faire des pertes de 3 millions sur des revenus d’environ 60 millions pour les six quotidiens régionaux en 2020. Elle prévoit maintenant des pertes au moins deux fois plus importantes (6 millions).

À court terme, les quotidiens régionaux préparent une nouvelle « proposition » qu’ils soumettront sous peu à leurs abonnés en format papier. La décision définitive sur le nombre d’éditions papier au retour de la crise n’est pas encore arrêtée.

COVID-19

L’idée de l’envoi d’un chèque fait son chemin

Avec la mise en pause du Québec, l’idée que le gouvernement du Canada envoie un chèque à tous les travailleurs fait son chemin.

« Il est important que personne ne soit oublié, dit Pierre Emmanuel Paradis, économiste et président de la société-conseil AppEco. Pour le moment, je ne suis pas sûr que ça soit le cas.

« Avec une mesure simple à mettre en place, on s’assure ainsi que tous paient l’épicerie. Il sera toujours temps de faire la conciliation des comptes au moment de la déclaration de revenus pour ceux qui n’en avaient pas absolument besoin. »

Le gouvernement québécois a fait fermer à minuit, mardi soir, l’ensemble des entreprises au Québec, sauf exception. Cette décision crée des dizaines de milliers de nouveaux sans-emploi. Le système de traitement des demandes d’assurance-emploi est déjà embourbé, devant traiter 929 000 nouvelles demandes reçues la semaine dernière. D’aucuns craignent que les chèques d’assurance-emploi ne tardent à parvenir à leur destinataire.

Mardi en conférence de presse, François Legault a rapporté que le premier ministre Justin Trudeau lui avait indiqué que les premiers chèques seraient envoyés le 6 avril.

Subventions salariales

Mardi, dans La Presse+, le président et fondateur de la firme d’impartition informatique CGI, Serge Godin, recommandait la mise en place d’un système de subventions salariales comme on en voit dans les pays européens. La Chambre de commerce du Montréal métropolitain et la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante appuient l’idée. Elle a comme avantages d’éviter d’encombrer l’assurance-emploi et de maintenir le lien d’emploi entre l’entreprise et son personnel tout en donnant l’oxygène nécessaire à l’employeur et à ses employés pour traverser la pause.

« L’idée est belle sur papier, mais elle pose un enjeu d’imputabilité. Comment s’assurer que les subventions vont bel et bien aller aux travailleurs ? »

— Clément Gignac, économiste d’iA Groupe financier

En plus, fait-il valoir, le gouvernement fédéral serait obligé d’offrir le programme à toutes les provinces, pas juste au Québec et à l’Ontario. Ce sont actuellement les deux seules provinces à avoir fait fermer leurs entreprises, sauf exception.

Personnellement, il n’y croit pas et serait très étonné qu’Ottawa aille dans cette direction.

L’économiste suggère plutôt au gouvernement canadien d’envoyer un chèque aux 19 millions de travailleurs du pays en attendant que soit rodé le régime des mesures d’aide aux sans-revenu, y compris l’assurance-emploi qui doit s’ajuster au flux de nouvelles demandes. « Prenons un chèque de 2000 $ imposable à 19 millions de travailleurs, ça donne une facture de 38 milliards. À ce stade, on ne compte pas », dit-il.

Les travailleurs qui ont encore leur emploi le déposeront à la banque en attendant de payer l’impôt en 2021, explique M. Gignac. Ceux pour qui l’aide est essentielle le dépenseront sans attendre.

Un crédit d’impôt remboursable envoyé à tous atteindrait les mêmes objectifs.

Croissance et emplois

Le G7 promet de faire « tout ce qui est nécessaire »

Les grands argentiers des sept pays les plus industrialisés (G7), dont le Canada, ont promis mardi de faire « tout ce qui est nécessaire pour restaurer la confiance, la croissance économique et de protéger l’emploi » face aux ravages économiques de la pandémie de COVID-19.

Dans un communiqué commun publié à Washington, ils soulignent leur volonté de coopérer – avec les responsables des banques centrales – pour faire face à la crise qui devrait précipiter l’économie mondiale dans la récession cette année.

« Parallèlement aux efforts de nos pays pour étendre les services de santé, les ministères des Finances du G7 entreprennent et recommandent à tous les pays d’entreprendre un soutien en matière de liquidités et une expansion budgétaire pour atténuer les impacts économiques négatifs associés à la propagation » du coronavirus.

Ils se sont aussi dits disposés à soutenir l’économie aussi longtemps que nécessaire.

Ils relèvent en outre la nécessité de « cibler efficacement » les efforts pour soutenir les citoyens et les entreprises les plus vulnérables.

Listant les différentes mesures déjà prises, augmentation des liquidités disponibles, facilité de prêts, report d’impôts et de remboursement de prêts, subventions aux entreprises, ils relèvent que l’économie mondiale est en meilleure forme que lors de la crise financière de 2008.

« Nous nous engageons à maintenir des politiques expansionnistes aussi longtemps que nécessaire et sommes prêts à prendre de nouvelles mesures, en utilisant la gamme complète d’instruments conformes à nos mandats », ont-ils également assuré.

Les banques centrales et les ministères des Finances du G7 ajoutent qu’ils maintiendront des contacts « étroits », partageant régulièrement des informations sur les évolutions économiques et financières, pour apporter une réponse coordonnée à la pandémie.

Spectre de récession

Lundi, le Fonds monétaire international (FMI) a prévenu que la récession consécutive à la pandémie de coronavirus pourrait être pire que celle qui a suivi la crise financière de 2008.

Sa directrice générale, Kristalina Georgieva, avait alors souligné avoir prévenu les ministres des Finances et les banquiers centraux que les perspectives de croissance mondiale étaient « négatives » pour 2020 et indiqué qu’il fallait s’attendre à « une récession au moins aussi grave que pendant la crise financière mondiale sinon pire ».

En 2009, le PIB mondial avait baissé de 0,6 %, selon les données du FMI. Pour les seules économies avancées, il avait chuté de 3,16 % et de 4,08 % pour les pays de la zone euro.

« Mais nous nous attendons à une reprise en 2021 », avait-elle ajouté de manière plus optimiste.

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